Aujourd’hui le
soleil entre à plein rayons par l’œillère de mon nid. Étant donné que
nous sommes déjà au début de l’automne, ce petit moment de chaleur est
précieux pour le simple lièvre brun que je suis. Bientôt, je considèrerai les
sorties extérieures à reculons, mais pour l’heure, une promenade
s’impose pour profiter de cette belle température. Je me regardai dans ma
petite glace près de la porte avant de sortir. Mes longues oreilles brunes avec
leur petit bout noir semblaient à leur place et mon petit museau encadré de ses
moustaches aussi. Je ne suis pas moche pour un lièvre, enfin je crois. Mais je
préfère tout de même être seul, c’est plus simple. Je suis calme, routinier et
ordonné et je veux garder ma vie ainsi. J’enfilai donc ma petite écharpe rouge
et une longue patte poilue après l’autre, je sortis de mon nid douillet.
Le cœur me fit
trois tours! Quelle ne fut pas ma surprise de tomber nez à nez avec
une tortue! Pas n’importe laquelle, le sage Namo, conseiller de toute la forêt
de Sylva. Ma surprise fut entre autres causée par son allure, notre conseiller
semble aussi vieux que la forêt elle-même. Chaque centimètre de sa peau verte
et rugueuse semble ciselé de sillons creux. Ses petits yeux orangés sont à
peine visibles sous les replis infinis de ses immenses paupières, c’est donc
toujours un peu difficile de savoir s’il vous regarde. C’est la première fois
que je le rencontre. Je l’ai vu de loin aux côtés de notre gardienne à la
grande fête du printemps, mais sans plus, on s’entend, je ne suis personne. Un
animal parmi tant de mammifères de cette grande forêt. Mais là, le Conseiller
était sur le pan de ma porte. Juste là à 10 centimètres de mon nez, comment ne
pas sursauter!
- Est-ce que mon âge
me rend aussi affreux que la peur dans vos yeux semble le dire, mon cher ami?
Ce furent les
premiers mots que m’adressa la vénérable tortue, un des personnages les plus
respecté que je connaisse, imaginez ma gêne. Une chance que les lièvres ne
rougissent pas, parce que ma fourrure serait devenue écarlate.
- Je... euh... je vous
demande pardon grand Namo, c’est la surprise, je ne m’attendais pas à voir
quelqu’un sur le pan de ma porte.
Bon, ce n’était
pas parfait, mais j’avais au moins réussi à faire une phrase complète ce qui
m’impressionnait moi-même.
- Je vous taquine
pauvre Lee, je ne voulais en rien vous effrayer en vous surprenant ainsi, mais
l’heure n’est pas à la discussion bon-enfant. Je suis ici avec pour mandat de
vous confier une des plus importantes quêtes qui puisse être donnée.
Je l’invitai
donc à entrer, non sans gêne de la simplicité de ma demeure exposée aux yeux
d’un si légendaire personnage. Il m’expliqua donc la raison de sa
présence. Nous vivons dans la contrée de Mesral, contrée qui compte
principalement notre forêt qui est bordée d’une série de montagnes. La plupart
des habitants de notre région sont concentrés dans la forêt pour la nourriture
et la protection. Depuis bientôt mille ans, m’explique-t-il, la balance entre
la vie et la mort est maintenue par l’énergie de l’arbre de la vie, dont
l’incarnation vivante est notre gardien. En ce moment, c’est plutôt une
gardienne. Nous avons tous la chance de la contemplez une fois l’an aux fêtes
du printemps ou elle nous souhaite tous la paix, l’amour et la vie pour l’année
à suivre. La gardienne semble hors du temps et hors des races animales. Elle
est splendide avec ses longues oreilles semblables aux miennes surmontées de
cornes allongées et recourbées telle celle des boucs. Son museau semble celui
d’un loup, le haut de son corps est semblable à un aigle avec des serres aux
pattes avant et le bas de son corps est un mystère puisque toujours recouvert
de jupes sombres de plusieurs épaisseurs de tissu.
Donc depuis
mille ans, tout va pour le mieux et les gens comme moi dont l’espérance de vie
tourne autour de 100 fois moins il est difficiles de constater s’il y a des
changements sur une longue période. Bref, Namo m’initia au cycle de renaissance
de la forêt. De ce que je compris, l’arbre de la vie, qui est la source de la
balance bien équitable entre la vie et la mort à absolument besoin d’un
gardien. Celui-ci naît du cœur de l’arbre de la vie tous les mille
ans. Nous sommes donc en période de renaissance. Par contre, en ce moment, les
ingrédients requis pour le rituel ne sont toujours pas réunis et le temps
commence à presser. La renaissance devait avoir lieu seulement dans 2 saisons,
mais l’arbre semble déjà faiblir, la balance est corrompue ce qui a causé la
malédiction qui se répand vraiment très vite sur les êtres vivants de la forêt,
la malédiction du Bizom. Cette malédiction est un risque que court la contrée
tous les millénaires à l’approche de la renaissance, mais elle ne s’est jamais
manifestée si tôt et si puissante. Elle est contagieuse et se repends de
manière exponentielle, il est donc urgent d’agir.
Jusque-là, tout
allait bien. J’étais entièrement d’accord, il fallait agir pour le bien de la
contrée, je comprenais l’enjeu et aussi mieux l’histoire de la forêt et du
gardien. Par contre, j’étais totalement perdu quant au pourquoi la vénérable
tortue se trouvait-elle dans mon gîte en ce matin ensoleillé d’automne. Et pour
être honnête, je me doutais que la réponse à cette question allait me déplaire.
Le sage marqua
une pause, il semblait lire le questionnement dans mes petits yeux sombres et
attendre que je pose moi-même les questions. Mais verbaliser les questions
c’était aussi provoquer les réponses, le voulais-je vraiment?
- D’accord, je
comprends mieux notre histoire et le périple très sérieux dans laquelle les
gens de la contrée ce trouve, mais, avec tout le respect que je vous dois, que
faite vous chez moi grand sage?
- C’est très simple
mon très cher Lee. Il n’y a qu’un seul être dans la forêt qui puisse rassembler
les ingrédients du rituel et il se trouve que pour ce millénaire… c’est toi.
Je ne pus
m’empêcher.
- Pardon? Comment un
simple lièvre aussi petit et insignifiant que moi peut-être chargé d’une telle
mission? La contrée est remplie de loups à l’agilité incroyable, d’ours à la
force et au courage redoutables et de combien d’autres animaux aux vertus
beaucoup plus utiles et nombreuses que les miennes! Attendez… qui vous a dit
que ce devait être moi? Assurément, cette personne vous a dupé et désire la
perte de la contrée. Voilà, c’est la seule explication possible.
- La gardienne
elle-même transmet qui doit être l’envoyé. Tu peux allez la voir pour lui dire
qu’elle s’est trompée si tu veux.
Non,
définitivement, je ne me voyais pas aller argumenter avec la Gardienne. Je ne
comprenais même pas mon audace de discuter les dires de Namo. Je tentai tout de
même une dernière fois.
- Vous êtes bien
certain?
- Aussi certain que je
dois protéger à tout prix la vie mon ami.
J’étais à ce
moment convaincu que bientôt j’allais me réveiller confortablement sur la
paillasse de mon gite, mais la tortue reprit.
- Le rituel requière 3
éléments, mais seulement 2 sont à toi de quérir. L’eau pure de la cascade des
ours noirs qui doit être recueillie dans l’outre magique que voici et le fruit
qui pousse au sommet de la cime des arbres géants du Nord. Tu dois partir
maintenant car il te faut être à l’arbre de la vie avec ces éléments dans 3
nuits. Et saches le Lee, quand la mort à prit un vivant, on ne revient pas en
arrière. Il te faudra défendre ta vie, et ce, en donnant le repos aux infectés.
Tu auras besoin de courage et d’ingéniosité.
Sur ce, il se
leva et me quitta sans que j’aie pu ajouter un traître mot. J’avais
le sang glacé dans les veines. Ne venait-il pas de me dire que je devais partir
de ce pas pour une aventure, tout l’inverse de ma si précieuse routine
simpliste, et ce, en urgence et avec pour risque de me faire tuer? J’étais sous
le choc. Seule l’outre entre mes mains me confirmait que je n’avais pas rêvé.
Je devais sortir respirer de l’air, car j’étais clairement en train d’en
manquer.
C’est alors que
je vie approcher Pika sur la route, la gentille hérissonne qui vie prêt de chez
moi et qui se trouve à être une des meilleures herboristes que je connais.
Parfait j’avais justement très envie de parler à quelqu’un. Je la regardai
approcher, elle fixait beaucoup le sol en marchant vers mon logis en
claudiquant.
- Tout va bien Pika?
Elle émit un
son étrange, guttural, je crus alors qu’elle devait être en train de s’étouffer
sur un fruit. Pika est plutôt gloutonne, surtout à l’approche des temps froids.
J’accélérai alors pour aller à son secours, mais quand elle leva son museau
vers moi, je me figeai. Ce que j’avais sous les yeux n’était plus Pika. Son œil
droit était tout blanc et sur le point de sortir de son orbite. Elle avait
les babines totalement retroussées ce qui mettait en évidence ses petites
dents pointues qui étaient, comme son museau, couvertes de sang
dégoulinant. La fourrure du devant de son corps était aussi rouge que son
visage et semblait y avoir d’accroché des restes que j’avais la nausée à
regarder. La peur s’empara de moi, les paroles de Namo repassèrent en flash
dans ma tête, la malédiction de Bizom. C’est à ce moment qu’un morceau
d’intestin tomba de son pelage. Je pris mes pattes à mon cou et couru dans mon
nid en claquant la porte derrière moi. Je l’entendis traîner ses
pattes jusqu’à la porte et elle se mit à gratter des griffes en faisant des
sons de plus en plus insistants. Puis un gros bruit humide retenti sur ma porte
comme si on venait d’y frapper avec une masse, mais que quelque chose c’était
interposé, quelque chose de mouillé.
- Lee! Lee, ça va?
C’est mort tu peux ouvrir il n’y en a pas d’autre en vue.
C’était la voie
de Jinx la loutre qui vient parfois acheter des herbes à Pika. J’ouvris
lentement et le vis avec une pelle à la main, couverte de sang et de reste
animal. Mes yeux se posèrent sur le sol et ce que j’y vis me fit tourner la
tête. Je sautai par-dessus les restes de Pika, la tête explosée sur ma porte,
pour aller livrer mon déjeuner au buisson le plus près. Une fois que la terre
arrêta de tourner trop vite, Jinx m’expliqua que quand il est arrivé chez Pika
il y a trouvé les restes de son mari partout dans la cuisine. Il s’est donc mis
à la recherche de l’herboriste, inquiet pour elle, pour se rendre compte qu’elle
était chez moi en train de tenter de m’infligé le même sort qu’a son mari.
J’étais
terrorisé. Que se passait-il donc? Mais je le savais, on venait clairement de
m’en informer. Je transmis donc l’information à Jinx. Il me dit qu’il aurait
aimé m’accompagner, et moi donc, Jinx est beaucoup plus courageux que moi, mais
sa femme et ses enfants étaient chez lui au lac. Si la malédiction était aussi
grave que je venais de l’en informer, il devait repartir vers eux et je
comprenais tout à fait. Il me souhaita bonne chance en me suppliant de partir
tout de suite pour nous éviter l’horrible sort de Pika. Nous nous serrâmes dans
nos bras et il reparti en courant avec les mouvements de dos ronds que seules
les loutres ont.
Je me retrouvai
seul devant mon nid, si douillet et accueillant moins d’une heure plus tôt,
transformé en bain de sang. Je pris la décision de voir les infectés seulement
comme des animaux morts-vivants et non plus comme les gens qu’ils étaient,
sinon j’allais assurément mourir moi-même prochainement ou perdre la raison. Je
repassai donc par-dessus les restes du mort-vivant qui gisaient sur mon perron
pour entrer et prendre mes affaires. Des vêtements, de quoi faire du feu, un
peu de nourriture et la dague antique de ma famille, que je n’avais jamais
envisagée comme une arme réelle. Et, le cœur lourd, je pris la route… pour
nous sauver tous.
(inspiration visuel)